|
|
Le Monde : Dieu nous protège du protectionnisme ! www.marianne2.fr |
|
L’éditorial publié par Le Monde du samedi 17 janvier est, à ce titre, un véritable bijou de rhétorique. Son auteur, qui ne semble pas si à l’aise avec les doctrines économiques, se fait le greffier de la réunion de crise du G20 du 15 novembre 2008. La résolution adoptée, rappelle-t-il, a pris l’engagement « de ne pas élever de nouvelles barrières à l’investissement ou au commerce des biens et des services. » Or, constate l’éditorialiste du Monde, Bush et Sarkozy n’ont pas respecté cette promesse. Le premier en triplant la taxe sur le roquefort, et le second en conditionnant les aides à l’automobile par l’engagement des groupes du secteur à ne pas délocaliser.
La naïveté de ce raisonnement est surprenante pour un quotidien de référence. Il faut être bien distrait pour ne pas savoir que le protectionnisme américain est bien réel et fonctionne très bien dans des secteurs d’activité autrement plus importants que le fromage. Et il faut être, comme l’auteur de l’article du Monde, bien indifférent à la condition ouvrière, bien calé dans son fauteuil directorial, bien protégé par la langue française - qui empêche d’être concurrencé par un éditorialiste chinois ou indien – pour s’indigner de ce qu’un Président de la République envisage de protéger des ouvriers métallurgistes (ce qu’il ne fera sans doute pas, mais c’est une autre question).
Le Monde, regretterait-il le discours d’un Jospin annonçant aux grévistes de Vilvorde qu’il leur fallait se résigner et accepter de changer de métier ? Son éditorialiste déplore cette spirale protectionniste qui semble toucher tous les continents : la Russie qui taxe les importations d’automobiles, le Mexique qui se plaint de la Chine, etc. Il vient, surtout, au secours d’un Pascal Lamy qui éprouve les plus grandes difficultés à clore le cycle de négociations commerciales initié à Doha en 2001. Mais agiter le spectre du protectionnisme national des années 1930 qui serait responsable de la crise – ce qui constitue un contre-sens historique – revient à poursuivre la lutte contre un communisme devenu évanescent. Les réticences des nations et des peuples à poursuivre sur la voix de la libéralisation totale des échanges sont plus que compréhensibles, elles sont légitimes. On en revient forcément à l’analyse de la crise des subprimes. Qui l’a déclenché ? Des banquiers inconscients, des financiers irresponsables et quelques escrocs à la Madoff ? Ou bien le modèle du du libre-échange et ses ayatollah qui après avoir provoqué une compression salariale massive dans les pays développés, ont ensuite encouragé et multiplié les prêts aux familles des classes moyennes pour maintenir – provisoirement bien sûr - un taux de croissance permettant aux entreprises de continuer à vendre leurs produits à des gens qui n’avaient plus le moyens de les acheter ? Voilà la vraie raison de cette crise qu'une majorité d'experts, d'économistes et de chiens de garde médiatiques persistent à masquer en évoquant «les excès du capitalisme financier» ou «l'absence de régulation».
Continuer à diaboliser le protectionnisme est d’autant plus inacceptable que personne ne propose de «fermer les frontières». Le libre-échange intégral est d’ailleurs une utopie. Pour ne prendre qu’un exemple, le dumping monétaire des Chinois et des Américains constitue une entrave très sérieuse aux échanges puisqu’il freine et rend très difficiles les exportations des pays européens à l’exception – sans doute provisoire – de l’Allemagne qui dispose d’un quasi-monopole dans le domaine des équipements industriels. Il ne s’agit évidemment pas d’arrêter les échanges mais de leur permettre de s’effectuer dans le cadre d’une concurrence loyale, sans distorsion trop grande de coûts salariaux, de règlementations et de parités monétaires. Bref, il s’agit de réfléchir à un protectionnisme à l’échelle européenne, perspective d’autant plus réaliste que l’Europe constitue le plus grand marché mondial. Réfléchir mais vite : plus le temps passe, et plus l'échec de plans de relance qui visent davantage à sauver le système qu'à créer les conditions d'une transformation réelle nous rapproche d'une alternative radicale : le chaos social ou une sérieuse limitation de la liberté des échanges.
|