
Nicolas DUPONT-AIGNAN
Député de l’Essonne -
Président de Debout la République
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Cher(e) Collègue,
Le projet de loi sur la fusion Suez / GDF
qui sera soumis au Parlement dès la semaine prochaine n’est pas anodin.
Compte tenu de ses implications économiques, sociales et par conséquent,
à la veille de 2007, politiques, tous les arguments doivent être
soigneusement examinés et débattus. Aussi, il m’a paru indispensable de
vous écrire pour vous expliquer les raisons pour lesquelles je crois ce
projet profondément contraire à l’intérêt national et pourquoi, en
conséquence, je le combattrai.
-
La privatisation de GDF est une faute
politique majeure.
-
Les arguments de ses promoteurs ne
sont pas convaincants.
-
vote de cette loi déstabiliserait le
secteur énergétique français, l’un de nos rares atouts dans la
compétition économique européenne et mondiale
-
D’autres voies alternatives peuvent
être aisément mises en œuvre.
Une faute
politique majeure
« Ces entreprises sont de grands services publics. Elles le
resteront, ce qui signifie qu’elles ne seront pas privatisées. »
Jacques Chirac, Président de la République, le 19 mai 2004.
« Je le redis avec force :
conformément aux engagements du Président de la République et du
Gouvernement, EDF et Gaz de France ne seront pas privatisées. Mieux, le
Gouvernement acceptera l'amendement du rapporteur portant de 50 % à 70 %
le taux de détention minimum du capital des entreprises. Alors, vous me
direz :« qu'est-ce qui garantit que la loi ne permettra pas de
privatiser plus tard ? » La réponse est simple : il n'y aura pas de
privatisation parce qu'EDF, c'est le nucléaire, et qu'une centrale
nucléaire, ce n'est pas un central téléphonique ! Un gouvernement ne
prendra jamais le risque de privatiser l'opérateur des centrales
nucléaires. » Nicolas Sarkozy, intervention du 16 juin 2004 à
l’Assemblée Nationale.
L’engagement solennel de ne pas privatiser EDF et GDF m’avait conduit,
comme d’autres parlementaires de la majorité, à passer outre mes fortes
réserves face à l’ouverture du capital d’EDF et GDF et à m’abstenir lors
du vote de la loi du 9 août 2004. Le Conseil constitutionnel lui-même
avait admis la constitutionnalité de cette décision car elle maintenait
la part de l’Etat dans le capital des deux entreprises à hauteur de 70%
minimum .
Est-il acceptable et opportun à quelques mois seulement des échéances
cruciales de 2007 de renier ainsi notre parole ? Au moment où la
crédibilité des hommes politiques est profondément entamée, ce virage à
180° tant du gouvernement que du président de l’UMP, est préjudiciable à
la majorité tout entière ! Il oblige les députés soit à trahir un
engagement solennellement donné aux Français, soit à s’écarter de la
discipline majoritaire.
Comment, de surcroît, accepter un projet qui concrétise une politique
européenne interdisant à moyen terme le principe même des tarifs
réglementés au nom de la concurrence et, au même moment, s’indigner de
la hausse des prix d’EDF / GDF et réclamer le maintien durable des
tarifs régulés ?
Après la palinodie du CPE ou le passage en force sur la loi sur Internet
qui ont déjà éloigné de nous des millions de jeunes, comment le
gouvernement peut-il s’engager en toute lucidité dans une épreuve de
force avec sa propre majorité, dont il ne pourra manifestement sortir
qu’en recourant au 49-3 ? A-t-il bien mesuré toutes les conséquences de
cet autoritarisme sur l’opinion ? Le tout pour un projet que rien ne
justifie, les arguments de ses promoteurs étant très loin d’emporter la
conviction.
La grande
manipulation
Trois arguments sont généralement avancés par les promoteurs du projet.
Que faut-il en penser réellement ?
A) Sauver Suez d’une OPA italienne ?
Le patriotisme économique a bon dos car cette opération, dictée sur
commande il est vrai par la direction de Suez, ne lui accordera au mieux
qu’un répit très momentané. En effet, rien ne garantira à l’avenir que
le nouvel ensemble ne cédera pas sa branche eau-environnement. Les fonds
de pensions actionnaires de Suez le réclament déjà. Cette branche qui
représenterait moins de 20% du nouvel ensemble aura encore moins
d’intérêt pour l’entreprise, et dans le projet de loi, rien n’interdit
la cession, la « golden share » prévue par le ministre ne concernant que
des éléments dits d’intérêts stratégiques.
Au contraire, pire encore, c’est désormais Suez et GDF qui pourraient
faire l’objet d’une OPA. Gérard Mestrallet, dans son audition devant
la commission des Affaires économiques de l’Assemblée Nationale, comme
Thierry Breton dans ses argumentaires généreusement diffusés auprès du
Parlement, le reconnaissent eux-mêmes : « La présence d’un
actionnaire détenant plus du tiers du capital n’interdit certes pas à un
tiers de lancer une OPA sur la société, mais l’histoire financière
montre en pratique qu’elle met la société à l’abri ».
On a vu avec l’OPA de Mittal sur Arcelor ce qu’il faut retenir de «
l’histoire financière » et des assurances du Ministre !
Comment peut-on sérieusement nous demander de voter une loi visant à
protéger Suez d’une OPA éventuelle alors que le nouveau groupe serait
constitué sur une telle base capitalistique qu’il serait lui-même
opéable ? Etant manifestement peu convaincus eux-mêmes de la
validité de cet argument, ceux qui l’0agitent laissent éclater au grand
jour son inconsistance !
B) Créer une synergie entre les deux groupes ?
Là aussi, il suffit de regarder les chiffres pour comprendre qu’on nous
raconte des histoires. Comme l’ont dit d’ailleurs nos collègues Paillé
et Daubresse : « Loin de créer un géant du gaz, la fusion
n’entraînerait qu’un grossissement de 25% de GDF sur la distribution et
guère plus dans le stockage et le transport ».
En dehors de la fourniture d’électricité et de gaz à la Belgique, ce
sont les services aux collectivités locales (eau, assainissement, pompes
funèbres,… - regroupés dans un pôle appelé « environnement »), qui
constituent le noyau dur de l’activité de Suez, ex-Lyonnaise des Eaux.
La promesse de la constitution d’« un grand opérateur dédié à l’énergie
et l’environnement » paraît séduisante, mais qui ne voit que ces
activités ont en fait peu en commun les unes avec les autres, sinon
l’importance des réseaux, les relations privilégiées avec les
collectivités locales et le peu de concurrence véritable entre quelques
opérateurs toujours tentés de se comporter en oligopoles ? Jusqu’à plus
ample informé, ce n’est pas demain que l’eau et le gaz emprunteront les
mêmes tuyaux ! Si synergie il y a, elle est bien davantage entre EDF et
GDF : en effet, tous les arguments utilisés pour justifier le
rapprochement GDF-Suez rendent par contrepoint plus incompréhensible le
divorce de ces deux entités nationales depuis longtemps associées aussi
bien dans leurs activités que dans l’esprit des Français. On nous dit
que l’Europe n’autorise pas leur coopération par crainte du gigantisme,
mais on prône en même temps le rapprochement avec Suez pour faire grand,
en s’attirant les critiques de la Commission de Bruxelles ! Gigantisme
ou non, il faudrait surtout savoir dans quelle direction on compte aller
!
De surcroît, là aussi, le discours a été des plus changeants. Il y a
quelques temps Thierry Breton affirmait : « L’ouverture du capital de
GDF suffirait pour en faire un champion. L’entreprise bénéficiera d’une
augmentation de capital représentant environ 40% de l’opération. Avec un
apport de fonds propres levés auprès d’investisseurs institutionnels,
l’entreprise disposera d’un bilan très solide et de la capacité
d’investir ». Il avait d’ailleurs raison, ce que les résultats de
l’entreprise depuis quelques années ont confirmé.
Ces résultats sont éloquents :
-
Gaz de France est le 4ème acheteur
mondial de gaz.
-
Gaz de France dispose
d’infrastructures essentielles conséquentes (stockages, terminaux,
réseaux…).
-
Gaz de France s’appuie sur un
éventail d’approvisionnements diversifiés : c’est d’ailleurs le plus
diversifié d’Europe.
-
Gaz de France a mis en place avec
succès une activité d’exploration / production avec 10% de
production propre et de nombreux projets prometteurs en cours.
-
Gaz de France sert 12 millions
d’usagers.
-
Gaz de France n’est pas endetté.
Ainsi, force est de constater que
l’argument du développement de l’entreprise n’est pas sérieux et relève
purement et simplement du prétexte. La vérité est que GDF n’a à l’heure
actuelle aucun problème de taille critique, d’autant qu’il n’est pas
opéable. On a donc inventé ces fariboles pour les besoins de la
cause. Pour endormir l’opinion, on invoque aussi la sécurité des
approvisionnements.
C) La sécurité des approvisionnements ?
L’Europe est de plus en plus dépendante de ressources gazières
extra-communautaires (à hauteur des 2/3 de sa consommation), la sécurité
des approvisionnements constitue donc un vrai défi. Malheureusement la
fusion Suez / GDF n’y répond pas ou que très partiellement. Tout d’abord
parce que l’activité gazière de Suez pèse, en volume, moins de trois
fois moins que celle de GDF, qu’elle n’alimente quasiment pas la France,
qu’elle ne comprend aucun volet « exploration / production ».
Ensuite, parce que GDF bénéficie d’un portefeuille de contrats à long
terme parmi les plus importants et les plus diversifiés d’Europe.
Enfin, car le marché du gaz obéit davantage à des relations d’Etat à
Etat qu’aux seules négociations entre agents économiques. L’Allemagne
l’a d’ailleurs bien compris, la nouvelle chancelière conservatrice
n’ayant pas varié d’un iota la politique de bonne entente avec la Russie
engagée par son prédécesseur Schroeder !
Loin de la fable que l’on tente de nous faire avaler, la sécurité des
approvisionnements de la France dépend d’une stratégie publique,
reposant sur des accords politiques d’Etat à Etat, des contrats et des
investissements dans la production de long terme. D’ailleurs, rien
n’interdit à Suez, GDF et à d’autres, de négocier en commun certains
contrats d’approvisionnement.
A cet égard, il faudra aussi revoir les directives européennes récentes
qui ont déstabilisé le marché gazier. En effet, en supprimant les
monopoles d’importation au détriment des opérateurs historiques tels que
GDF, Bruxelles a fragilisé l’Europe alors que les vendeurs restaient
organisés sous forme de monopoles. En contestant la part des contrats de
long terme, comme les clauses dites de destination (interdisant aux
entreprises importatrices de gaz de le revendre à des pays tiers), elle
a accentué la volatilité des marchés et multiplié les incertitudes sur
la sécurité des approvisionnements.
De son côté, bien sûr, la Russie a renforcé le rôle de l’Etat dans le
secteur, a adopté une stratégie offensive pour investir dans les
activités en aval de la production et tiré parti de la naïveté
européenne.
Comme on peut le constater, les arguments avancés pour justifier cette
opération sont fragiles, voire inconsistants. Si les avantages sont
réduits, en revanche, les inconvénients de la privatisation de GDF sont
considérables, déstabilisant un peu plus le secteur de l’énergie
français, pourtant l’un des atouts majeurs de notre économie en ce début
de XXIème siècle.
La porte
grande ouverte au démantèlement final du service public de l’énergie à
la française
Au-delà des faux-semblants, le projet de
loi consiste à privatiser Gaz de France et il faudrait bien être naïf
pour croire dans la promesse de maintien du capital public, alors que la
précédente promesse n’a pas tenu deux ans !
Cette privatisation introduit trois menaces majeures.
A) La Nation privée d’une ressource accessible à tous et bon-marché :
Les usagers seront les premiers perdants puisque l’entreprise obéira
obligatoirement à une logique privée. Il ne s’agit pas là d’une crainte
mais d’une réalité déjà amorcée et constatée dans le cadre de
l’ouverture pour les entreprises au tarif dit « libre ».
L’amélioration de la gestion est une chose, l’abus de position dominante
en est une autre. Ainsi, d’ores et déjà, on a pu constater une
dégradation du service public d’EDF / GDF : coupures immédiates du
courant même en cas d’erreur de l’entreprise sur les délais de paiement,
difficulté à joindre des conseillers, renchérissement du coût de
déplacement d’un compteur gaz dans un coffret (+23%), de branchement
aérien, de contrôle des appareils de comptage et de remplacement des
appareils (+35%).
Mais la question des tarifs est bien
évidemment au cœur de tout et il faut en ce domaine mettre fin au double
langage. L’application des directives européennes, qui se cache derrière
la privatisation de GDF, ne permettra pas à moyen terme de maintenir un
tarif régulé. Il est mensonger de faire croire à Bruxelles que la France
se pliera au tarif libre et à Paris que rien ne changera. La
Commission de Bruxelles a déjà mis en demeure la France, lui reprochant
que « l’obligation de fourniture à prix régulé n’est pas limitée dans le
temps et que le niveau du prix régulé n’est pas lié au prix du marché ».
Pour ceux qui en douteraient encore, il n’est qu’à lire les déclarations
de la Commission de Régulation de l’énergie (la CRE) - instance
nationale de contrôle de la concurrence créée l’année dernière pour
accompagner la libéralisation du marché de l’énergie - qui laissent
clairement entendre, encore que mezzo voce, que les tarifs régulés ne
pourront pas durablement s’écarter du tarif du marché. « Si le maintien
des tarifs réglementés, pendant une période de transition, ne pose pas
de problème, en revanche le niveau anormalement bas de certains d’entre
eux constitue un obstacle à l’arrivée de nouveaux entrants… », a ainsi
déclaré Philippe de Ladoucette, son président .
Car, ne l’oublions pas, au cœur de l’intégration européenne du marché de
l’énergie, il y a pour la France cette bien triste réalité : dernière à
en avoir accepté le principe, la France se condamne en réalité à
sacrifier l’avantage de son électricité nucléaire bon marché pour
satisfaire les appétits commerciaux de ses voisins, désireux d’accéder à
nos 62 millions de consommateurs mais à des prix bien plus élevés que
les nôtres. C’est là l’objectif et la raison d’être mêmes de cette
politique européenne et on voit mal comment notre pays pourrait échapper
à son implacable logique, quoi qu’en disent ceux qui prétendent marier
tous les contraires.
Si ce projet de loi est adopté, c’en sera fini du prix régulé et il ne
fait pas de doute que la puissance publique aura du mal, sans
déstabiliser sur les marchés financiers l’entreprise privatisée, à la
contraindre à modérer ses tarifs. Ceux qui contestent cette analyse
devraient examiner l’évolution du prix de l’électricité depuis deux ans.
Les entreprises qui ont choisi pour s’approvisionner le marché dit «
libre » ont essuyé des augmentations de 60% à 80% entre 2003 et 2006. La
raison en est simple :
- les prix européens de l’électricité
fixés par Powernext sont indexés sur le baril de pétrole (72$),
- l’insuffisance de production à
l’échelle du marché européen pousse les prix à la hausse,
- les tarifs proposés par EDF sur le
marché « libre » sont calés sur le cours fixé par la « bourse électrique
européenne », Powernext. A noter sur ce dernier point qu’EDF, à supposer
que cette entreprise en ait la volonté, n’aurait pas le droit de vendre
son électricité sur le marché libre à un prix inférieur au cours de
Powernext, car elle serait immédiatement attaquée par ses concurrents et
fatalement condamnée par les juridictions communautaires au motif de…
dumping !
La libéralisation du marché de l’énergie adoptée par Jacques Chirac
et Lionel Jospin au sommet de Barcelone aboutit ainsi à faire perdre à
la France l’un de ses avantages comparatifs majeurs qui fondait son
attractivité et à importer le prix de ses partenaires.
Privatiser GDF, accepter la directive, ouvrir à la concurrence au 1er
juillet 2007 le marché des particuliers, rendraient irréversible une
politique dont tous les effets néfastes sont aujourd’hui avérés pour les
entreprises et ne manqueraient pas de s’étendre aux particuliers. Au
moment où nos concitoyens et nos entreprises encaissent une hausse de
leur facture d’essence, de fuel, est-il raisonnable d’en rajouter pour
faire plaisir à la Commission et aux appétits commerciaux des opérateurs
énergétiques européens ? La question du pouvoir d’achat sera au cœur de
la présidentielle : les parlementaires de la majorité ont-ils
vraiment vocation à jouer les kamikazes pour défendre une cause
contraire à l’intérêt général et national ? Qui plus est, sur la base
d’arguments spécieux qui visent à escamoter le vrai débat : la
spoliation d’un service public de l’énergie donné en partage à la Nation
par le général de Gaulle en 1946 !
B) L’affaiblissement d’EDF
Cette privatisation va condamner les services communs de distribution
d’EDF / GDF. Cette dualité pouvait se concevoir lorsque les deux
entreprises avaient le même actionnaire principal, l’Etat. Mais comment
faire cohabiter, dans une structure commune, des collaborateurs de deux
groupes en concurrence frontale sur le même territoire et dans la même
activité ? Le distributeur commun est pourtant au cœur d’un service
public de proximité qui contribue largement à l’aménagement du
territoire.
Mais, surtout, cette privatisation va
condamner EDF à subir progressivement le même sort et à emprunter la
même voie d’opérateur privé aux ordres de ses actionnaires. Cette
évidence est invoquée comme « un argument crédible » par les dirigeants
de Suez et GDF dans le texte transmis à Bruxelles, dans lequel ils
plaident pour la fusion des deux entreprises. Privatiser GDF conduira à
privatiser EDF pour équilibrer la concurrence entre les deux
entreprises. Incidemment, les tarifs réglementés, comme le prédit la
CRE, seront définitivement passés à la trappe. Le secteur de l’énergie
n’a pourtant rien à voir avec les autres. Toutes les expériences
internationales, notamment américaine, ont prouvé qu’une énergie
publique bien organisée, à l’image de celle de la France depuis un
demi-siècle, est plus efficace, moins coûteuse, plus sûre et plus juste,
que l’énergie privatisée.
La France, pour réussir sa mutation énergétique, a besoin d’un seul
opérateur public de l’énergie, regroupant un électricien et un gazier en
mettant en synergie leur métier respectif.
C) Une menace pour l’indépendance énergétique de la France
La privatisation de GDF pose enfin une foule de difficultés
stratégiques.
Dans un contexte de crise énergétique et d’obligation de réduction de
l’effet de serre, il est dangereux et complexe de transférer la
propriété d’actifs stratégiques pour la Nation à un opérateur privé. Les
réseaux de transport, les grandes infrastructures ont été le fruit de
l’effort des Français et doivent rester des biens publics.
On nous parle souvent de cahier des charges de service public, mais les
expériences étrangères, notamment américaine, ont montré le peu de cas
qu’il faut en faire. Quelles sont les garanties réelles en matière
d’entretien et de renouvellement des réseaux, de couverture équitable de
tout le territoire national, d’accès garanti pour les plus démunis ?
De même, comment imaginer confier nos centrales nucléaires à des
oligopoles privés, plus soucieux de rentabilité immédiate que de
sécurité et d’investissements très coûteux et à très long terme ?
Des voies
alternatives
Depuis le début de ce projet, ses
promoteurs veulent nous faire croire qu’il constitue un moindre mal,
faute de vraies alternatives. Cela est totalement faux. Il existe
plusieurs solutions pour conforter nos acteurs énergétiques. Une
première, dans le cadre de nos accords européens. Une autre qui passe
par une révision de l’accord de Barcelone.
A) Une voie communautaire étroite :
Sans remettre en cause le mauvais échafaudage communautaire, il est bien
sûr possible et préférable d’agir autrement pour préserver l’intégrité
et donc le caractère public et réglementé de GDF, et lui permettre de
réaliser une alliance cohérente avec ses enjeux industriels. Plusieurs
solutions ont été envisagées :
- des participations croisées entre Suez
et GDF,
- la fusion entre GDF et les filiales
énergie de Suez (Electrabel, Distrigaz, Fluxys).Ainsi un schéma à parité
50/50 serait possible préservant le caractère public de GDF,
- des prises de participations de Gaz de
France dans ces mêmes filiales.
Il va de soi que la question de l’avenir du pôle environnement (60 000
salariés, responsabilités de services en gestion déléguée de nombreuses
collectivités françaises) de l’actuel groupe Suez se pose. Il est vital
de lui garantir un avenir qui, comme nous l’avons déjà vu, n’est en rien
assuré par la fusion avec GDF. Seule, à mon sens, une structuration
autour de la Caisse des dépôts et consignations d’un pôle
d’investisseurs français stable et soumis à des obligations de long
terme peut recréer une dynamique pour ce groupe. Le caractère
partiellement public de cette nouvelle entité serait loin d’être un
inconvénient, car la distribution d’eau est un service public et dans
des pays comme l’Allemagne, la collectivité publique joue son rôle.
Cependant, cette solution partielle ne traiterait pas du cœur du
problème : le maintien durable de tarifs réglementés, menacés par la
politique de Bruxelles.
B) Créer un opérateur public unique de l’énergie, « Energie de France
» :
Au-delà de ces solutions de bon sens, la raison voudrait que la France,
comme en 1946, se décide enfin à relever sérieusement le défi
énergétique et environnemental de son temps.
Dans un monde où la ressource énergétique sera de plus en plus rare, où
la lutte contre l’effet de serre est une urgence, il est aberrant de
laisser détricoter l’un des atouts majeurs de notre pays qui, en 50 ans,
a amplement fait ses preuves.
L’enjeu est au contraire d’inciter aux économies d’énergie, de
moderniser notre industrie électronucléaire, de développer les énergies
renouvelables, de sécuriser par des coopérations d’Etat à Etat nos
approvisionnements.
Pour y réussir en maintenant au bénéfice de nos concitoyens et de nos
entreprises les tarifs les plus bas d’Europe, il va de soi qu’il faut à
la fois moderniser nos services publics et disposer d’un groupe puissant
et intégré.
Depuis plusieurs années, je plaide avec d’autres, d’horizons aussi
éloignés d’ailleurs que la fondation Concorde et les syndicats, pour la
création d’un acteur puissant EDF / GDF, capable de s’imposer face au
géant allemand de l’électricité et du gaz (EON). Il est aussi impératif
de sortir de la logique absurde du démantèlement des filières intégrées
voulue par Bruxelles au nom d’une conception dogmatique de la
concurrence. Un dogmatisme qui va jusqu’à contester la fusion en l’état
GDF / Suez, demandant à chaque entreprise de réduire son périmètre. Le
débat parlementaire de cette rentrée doit être l’occasion de poser au
grand jour devant les Français les vrais enjeux de la politique
énergétique de demain et de répondre à leur attente du maintien et du
développement d’un opérateur public de l’énergie à leur service.
C’est pourquoi il faut aussi trancher la question des tarifs et revenir,
par la loi, au mode antérieure de calcul des prix d’EDF qui garantissait
un juste partage entre le consommateur, l’entreprise et l’Etat, de la
rente électrique . N’oublions jamais que l’électricité ne se stocke pas
et que le marché européen, en l’absence de réelles infrastructures
d’interconnexion, reste pour l’essentiel une simple vue de l’esprit.
L’enjeu est donc de rétablir une politique tarifaire « non lucrative »
au bénéfice du développement économique de long terme, de l’aménagement
du territoire, de l’autosuffisance et de l’indépendance énergétique de
notre pays.
******
Cher(e) Collègue, le projet de loi qui nous est soumis remet en cause le
compromis établi par la loi du 9 mai 2004. Il nous engage dans un
processus difficilement réversible de démantèlement en catimini d’un des
piliers de notre pacte national hérité de la Libération et du général de
Gaulle, alors même que l’expérience prouve les conséquences négatives
d’une telle évolution.
La privatisation rampante de nos entreprises énergétiques aboutirait à
l’intégration du marché français de l’énergie à un marché européen où
nous n’avons rien à gagner. Elle permettrait certes la constitution de
multinationales tricolores de l’énergie. Mais à quoi bon ? Leur
développement international ne servirait que l’appétit de leurs
actionnaires, privés ou institutionnels : désolidarisées de la Nation,
celles-ci ne serviraient plus l’intérêt général et national. Drôle de
patriotisme économique, qui sert exclusivement les actionnaires et se
contente d’aligner sur le papier des champions qui n’ont de nationaux
que le nom.
De surcroît, on nous demande de légiférer dans la précipitation sans
connaître ni la décision de la Commission de Bruxelles (qui sera connue
fin octobre) sur le périmètre du futur ensemble, ni celle des
actionnaires de Suez.
Il n’est pas plus acceptable de faire la courte échelle à un projet
ficelé dans l’ombre par deux dirigeants d’entreprises qui prennent
depuis quelque temps la représentation nationale pour les serviteurs
zélés et obéissants de leurs projets grandioses. Il est d’autant plus
inadmissible de constater un tel comportement de la part d’un dirigeant
d’entreprise publique, Mr Cirelli, qui dénie aux députés le droit de
s’interroger sur la pertinence de sa stratégie : « Gaz de France
souhaite que l’on cesse de faire sa stratégie à sa place », nous
dit-il, oubliant qu’il est aux ordres de son actionnaire d’aujourd’hui,
la puissance publique c'est-à-dire la Nation.
Les Français sont de plus en plus las des manœuvres de certains
dirigeants de firmes qui décrédibilisent injustement l’ensemble des
chefs d’entreprises dont le talent, le dynamisme et la créativité
garantissent nos emplois et fondent notre puissance économique.
En prêtant la main à cette opération, nous alimenterions un peu plus
la colère des Français qui attendent de nous le respect des engagements,
la défense des services publics d’intérêt général, la préparation des
défis de l’avenir.
L’économie de marché est indispensable. J’ai, pour ma part, approuvé
beaucoup de privatisations lorsqu’il y avait un marché capable
d’arbitrer les choses. Mais je crois, en revanche, que dans les domaines
où l’investissement est à très long terme, où les intérêts stratégiques
de la Nation sont en cause, l’Etat ne doit avoir aucun complexe à jouer
tout son rôle.
Le secteur de l’énergie, à l’évidence, est l’un de ces secteurs que nous
avons le devoir de préserver au bénéfice de nos concitoyens et du pays.
Aujourd’hui le choix est simple : soit nous poursuivons le
détricotage hypocrite des efforts des Français, soit nous réagissons en
prenant le temps d’élaborer une vraie stratégie publique.
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