Communiqué du 2 septembre 2006

 

Privatisation de GDF : une faute politique majeure                                                                                                                   Texte PDF

 

 

Nicolas DUPONT-AIGNAN

Député de l’Essonne - Président de Debout la République

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Cher(e) Collègue,

 

 

Le projet de loi sur la fusion Suez / GDF qui sera soumis au Parlement dès la semaine prochaine n’est pas anodin. Compte tenu de ses implications économiques, sociales et par conséquent, à la veille de 2007, politiques, tous les arguments doivent être soigneusement examinés et débattus. Aussi, il m’a paru indispensable de vous écrire pour vous expliquer les raisons pour lesquelles je crois ce projet profondément contraire à l’intérêt national et pourquoi, en conséquence, je le combattrai.

  • La privatisation de GDF est une faute politique majeure.

  • Les arguments de ses promoteurs ne sont pas convaincants.

  • vote de cette loi déstabiliserait le secteur énergétique français, l’un de nos rares atouts dans la compétition économique européenne et mondiale

  • D’autres voies alternatives peuvent être aisément mises en œuvre.

   Une faute politique majeure


« Ces entreprises sont de grands services publics. Elles le resteront, ce qui signifie qu’elles ne seront pas privatisées. » Jacques Chirac, Président de la République, le 19 mai 2004.

 

« Je le redis avec force : conformément aux engagements du Président de la République et du Gouvernement, EDF et Gaz de France ne seront pas privatisées. Mieux, le Gouvernement acceptera l'amendement du rapporteur portant de 50 % à 70 % le taux de détention minimum du capital des entreprises. Alors, vous me direz :« qu'est-ce qui garantit que la loi ne permettra pas de privatiser plus tard ? » La réponse est simple : il n'y aura pas de privatisation parce qu'EDF, c'est le nucléaire, et qu'une centrale nucléaire, ce n'est pas un central téléphonique ! Un gouvernement ne prendra jamais le risque de privatiser l'opérateur des centrales nucléaires. » Nicolas Sarkozy, intervention du 16 juin 2004 à l’Assemblée Nationale.


L’engagement solennel de ne pas privatiser EDF et GDF m’avait conduit, comme d’autres parlementaires de la majorité, à passer outre mes fortes réserves face à l’ouverture du capital d’EDF et GDF et à m’abstenir lors du vote de la loi du 9 août 2004. Le Conseil constitutionnel lui-même avait admis la constitutionnalité de cette décision car elle maintenait la part de l’Etat dans le capital des deux entreprises à hauteur de 70% minimum .


Est-il acceptable et opportun à quelques mois seulement des échéances cruciales de 2007 de renier ainsi notre parole ? Au moment où la crédibilité des hommes politiques est profondément entamée, ce virage à 180° tant du gouvernement que du président de l’UMP, est préjudiciable à la majorité tout entière ! Il oblige les députés soit à trahir un engagement solennellement donné aux Français, soit à s’écarter de la discipline majoritaire.


Comment, de surcroît, accepter un projet qui concrétise une politique européenne interdisant à moyen terme le principe même des tarifs réglementés au nom de la concurrence et, au même moment, s’indigner de la hausse des prix d’EDF / GDF et réclamer le maintien durable des tarifs régulés ?

Après la palinodie du CPE ou le passage en force sur la loi sur Internet qui ont déjà éloigné de nous des millions de jeunes, comment le gouvernement peut-il s’engager en toute lucidité dans une épreuve de force avec sa propre majorité, dont il ne pourra manifestement sortir qu’en recourant au 49-3 ? A-t-il bien mesuré toutes les conséquences de cet autoritarisme sur l’opinion ? Le tout pour un projet que rien ne justifie, les arguments de ses promoteurs étant très loin d’emporter la conviction.

 

   La grande manipulation


Trois arguments sont généralement avancés par les promoteurs du projet. Que faut-il en penser réellement ?

A) Sauver Suez d’une OPA italienne ?

Le patriotisme économique a bon dos car cette opération, dictée sur commande il est vrai par la direction de Suez, ne lui accordera au mieux qu’un répit très momentané. En effet, rien ne garantira à l’avenir que le nouvel ensemble ne cédera pas sa branche eau-environnement. Les fonds de pensions actionnaires de Suez le réclament déjà. Cette branche qui représenterait moins de 20% du nouvel ensemble aura encore moins d’intérêt pour l’entreprise, et dans le projet de loi, rien n’interdit la cession, la « golden share » prévue par le ministre ne concernant que des éléments dits d’intérêts stratégiques.


Au contraire, pire encore, c’est désormais Suez et GDF qui pourraient faire l’objet d’une OPA. Gérard Mestrallet, dans son audition devant la commission des Affaires économiques de l’Assemblée Nationale, comme Thierry Breton dans ses argumentaires généreusement diffusés auprès du Parlement, le reconnaissent eux-mêmes : « La présence d’un actionnaire détenant plus du tiers du capital n’interdit certes pas à un tiers de lancer une OPA sur la société, mais l’histoire financière montre en pratique qu’elle met la société à l’abri »


On a vu avec l’OPA de Mittal sur Arcelor ce qu’il faut retenir de « l’histoire financière » et des assurances du Ministre !


Comment peut-on sérieusement nous demander de voter une loi visant à protéger Suez d’une OPA éventuelle alors que le nouveau groupe serait constitué sur une telle base capitalistique qu’il serait lui-même opéable ? Etant manifestement peu convaincus eux-mêmes de la validité de cet argument, ceux qui l’0agitent laissent éclater au grand jour son inconsistance !


B) Créer une synergie entre les deux groupes ?


Là aussi, il suffit de regarder les chiffres pour comprendre qu’on nous raconte des histoires. Comme l’ont dit d’ailleurs nos collègues Paillé et Daubresse : « Loin de créer un géant du gaz, la fusion n’entraînerait qu’un grossissement de 25% de GDF sur la distribution et guère plus dans le stockage et le transport ».

En dehors de la fourniture d’électricité et de gaz à la Belgique, ce sont les services aux collectivités locales (eau, assainissement, pompes funèbres,… - regroupés dans un pôle appelé « environnement »), qui constituent le noyau dur de l’activité de Suez, ex-Lyonnaise des Eaux. La promesse de la constitution d’« un grand opérateur dédié à l’énergie et l’environnement » paraît séduisante, mais qui ne voit que ces activités ont en fait peu en commun les unes avec les autres, sinon l’importance des réseaux, les relations privilégiées avec les collectivités locales et le peu de concurrence véritable entre quelques opérateurs toujours tentés de se comporter en oligopoles ? Jusqu’à plus ample informé, ce n’est pas demain que l’eau et le gaz emprunteront les mêmes tuyaux ! Si synergie il y a, elle est bien davantage entre EDF et GDF : en effet, tous les arguments utilisés pour justifier le rapprochement GDF-Suez rendent par contrepoint plus incompréhensible le divorce de ces deux entités nationales depuis longtemps associées aussi bien dans leurs activités que dans l’esprit des Français. On nous dit que l’Europe n’autorise pas leur coopération par crainte du gigantisme, mais on prône en même temps le rapprochement avec Suez pour faire grand, en s’attirant les critiques de la Commission de Bruxelles ! Gigantisme ou non, il faudrait surtout savoir dans quelle direction on compte aller !


De surcroît, là aussi, le discours a été des plus changeants. Il y a quelques temps Thierry Breton affirmait : « L’ouverture du capital de GDF suffirait pour en faire un champion. L’entreprise bénéficiera d’une augmentation de capital représentant environ 40% de l’opération. Avec un apport de fonds propres levés auprès d’investisseurs institutionnels, l’entreprise disposera d’un bilan très solide et de la capacité d’investir ». Il avait d’ailleurs raison, ce que les résultats de l’entreprise depuis quelques années ont confirmé.


Ces résultats sont éloquents :

  • Gaz de France est le 4ème acheteur mondial de gaz.

  • Gaz de France dispose d’infrastructures essentielles conséquentes (stockages, terminaux, réseaux…).

  • Gaz de France s’appuie sur un éventail d’approvisionnements diversifiés : c’est d’ailleurs le plus diversifié d’Europe.

  • Gaz de France a mis en place avec succès une activité d’exploration / production avec 10% de production propre et de nombreux projets prometteurs en cours.

  • Gaz de France sert 12 millions d’usagers.

  • Gaz de France n’est pas endetté.

Ainsi, force est de constater que l’argument du développement de l’entreprise n’est pas sérieux et relève purement et simplement du prétexte. La vérité est que GDF n’a à l’heure actuelle aucun problème de taille critique, d’autant qu’il n’est pas opéable. On a donc inventé ces fariboles pour les besoins de la cause. Pour endormir l’opinion, on invoque aussi la sécurité des approvisionnements.


C) La sécurité des approvisionnements ?


L’Europe est de plus en plus dépendante de ressources gazières extra-communautaires (à hauteur des 2/3 de sa consommation), la sécurité des approvisionnements constitue donc un vrai défi. Malheureusement la fusion Suez / GDF n’y répond pas ou que très partiellement. Tout d’abord parce que l’activité gazière de Suez pèse, en volume, moins de trois fois moins que celle de GDF, qu’elle n’alimente quasiment pas la France, qu’elle ne comprend aucun volet « exploration / production ».


Ensuite, parce que GDF bénéficie d’un portefeuille de contrats à long terme parmi les plus importants et les plus diversifiés d’Europe.


Enfin, car le marché du gaz obéit davantage à des relations d’Etat à Etat qu’aux seules négociations entre agents économiques. L’Allemagne l’a d’ailleurs bien compris, la nouvelle chancelière conservatrice n’ayant pas varié d’un iota la politique de bonne entente avec la Russie engagée par son prédécesseur Schroeder !


Loin de la fable que l’on tente de nous faire avaler, la sécurité des approvisionnements de la France dépend d’une stratégie publique, reposant sur des accords politiques d’Etat à Etat, des contrats et des investissements dans la production de long terme. D’ailleurs, rien n’interdit à Suez, GDF et à d’autres, de négocier en commun certains contrats d’approvisionnement.


A cet égard, il faudra aussi revoir les directives européennes récentes qui ont déstabilisé le marché gazier. En effet, en supprimant les monopoles d’importation au détriment des opérateurs historiques tels que GDF, Bruxelles a fragilisé l’Europe alors que les vendeurs restaient organisés sous forme de monopoles. En contestant la part des contrats de long terme, comme les clauses dites de destination (interdisant aux entreprises importatrices de gaz de le revendre à des pays tiers), elle a accentué la volatilité des marchés et multiplié les incertitudes sur la sécurité des approvisionnements.


De son côté, bien sûr, la Russie a renforcé le rôle de l’Etat dans le secteur, a adopté une stratégie offensive pour investir dans les activités en aval de la production et tiré parti de la naïveté européenne.


Comme on peut le constater, les arguments avancés pour justifier cette opération sont fragiles, voire inconsistants. Si les avantages sont réduits, en revanche, les inconvénients de la privatisation de GDF sont considérables, déstabilisant un peu plus le secteur de l’énergie français, pourtant l’un des atouts majeurs de notre économie en ce début de XXIème siècle.

 

   La porte grande ouverte au démantèlement final du service public de l’énergie à la française

 

Au-delà des faux-semblants, le projet de loi consiste à privatiser Gaz de France et il faudrait bien être naïf pour croire dans la promesse de maintien du capital public, alors que la précédente promesse n’a pas tenu deux ans !


Cette privatisation introduit trois menaces majeures.

A) La Nation privée d’une ressource accessible à tous et bon-marché :

Les usagers seront les premiers perdants puisque l’entreprise obéira obligatoirement à une logique privée. Il ne s’agit pas là d’une crainte mais d’une réalité déjà amorcée et constatée dans le cadre de l’ouverture pour les entreprises au tarif dit « libre ».


L’amélioration de la gestion est une chose, l’abus de position dominante en est une autre. Ainsi, d’ores et déjà, on a pu constater une dégradation du service public d’EDF / GDF : coupures immédiates du courant même en cas d’erreur de l’entreprise sur les délais de paiement, difficulté à joindre des conseillers, renchérissement du coût de déplacement d’un compteur gaz dans un coffret (+23%), de branchement aérien, de contrôle des appareils de comptage et de remplacement des appareils (+35%).

 

Mais la question des tarifs est bien évidemment au cœur de tout et il faut en ce domaine mettre fin au double langage. L’application des directives européennes, qui se cache derrière la privatisation de GDF, ne permettra pas à moyen terme de maintenir un tarif régulé. Il est mensonger de faire croire à Bruxelles que la France se pliera au tarif libre et à Paris que rien ne changera. La Commission de Bruxelles a déjà mis en demeure la France, lui reprochant que « l’obligation de fourniture à prix régulé n’est pas limitée dans le temps et que le niveau du prix régulé n’est pas lié au prix du marché ».


Pour ceux qui en douteraient encore, il n’est qu’à lire les déclarations de la Commission de Régulation de l’énergie (la CRE) - instance nationale de contrôle de la concurrence créée l’année dernière pour accompagner la libéralisation du marché de l’énergie - qui laissent clairement entendre, encore que mezzo voce, que les tarifs régulés ne pourront pas durablement s’écarter du tarif du marché. « Si le maintien des tarifs réglementés, pendant une période de transition, ne pose pas de problème, en revanche le niveau anormalement bas de certains d’entre eux constitue un obstacle à l’arrivée de nouveaux entrants… », a ainsi déclaré Philippe de Ladoucette, son président .


Car, ne l’oublions pas, au cœur de l’intégration européenne du marché de l’énergie, il y a pour la France cette bien triste réalité : dernière à en avoir accepté le principe, la France se condamne en réalité à sacrifier l’avantage de son électricité nucléaire bon marché pour satisfaire les appétits commerciaux de ses voisins, désireux d’accéder à nos 62 millions de consommateurs mais à des prix bien plus élevés que les nôtres. C’est là l’objectif et la raison d’être mêmes de cette politique européenne et on voit mal comment notre pays pourrait échapper à son implacable logique, quoi qu’en disent ceux qui prétendent marier tous les contraires.


Si ce projet de loi est adopté, c’en sera fini du prix régulé et il ne fait pas de doute que la puissance publique aura du mal, sans déstabiliser sur les marchés financiers l’entreprise privatisée, à la contraindre à modérer ses tarifs. Ceux qui contestent cette analyse devraient examiner l’évolution du prix de l’électricité depuis deux ans. Les entreprises qui ont choisi pour s’approvisionner le marché dit « libre » ont essuyé des augmentations de 60% à 80% entre 2003 et 2006. La raison en est simple :

- les prix européens de l’électricité fixés par Powernext sont indexés sur le baril de pétrole (72$),

- l’insuffisance de production à l’échelle du marché européen pousse les prix à la hausse,

- les tarifs proposés par EDF sur le marché « libre » sont calés sur le cours fixé par la « bourse électrique européenne », Powernext. A noter sur ce dernier point qu’EDF, à supposer que cette entreprise en ait la volonté, n’aurait pas le droit de vendre son électricité sur le marché libre à un prix inférieur au cours de Powernext, car elle serait immédiatement attaquée par ses concurrents et fatalement condamnée par les juridictions communautaires au motif de… dumping !


La libéralisation du marché de l’énergie adoptée par Jacques Chirac et Lionel Jospin au sommet de Barcelone aboutit ainsi à faire perdre à la France l’un de ses avantages comparatifs majeurs qui fondait son attractivité et à importer le prix de ses partenaires.

Privatiser GDF, accepter la directive, ouvrir à la concurrence au 1er juillet 2007 le marché des particuliers, rendraient irréversible une politique dont tous les effets néfastes sont aujourd’hui avérés pour les entreprises et ne manqueraient pas de s’étendre aux particuliers. Au moment où nos concitoyens et nos entreprises encaissent une hausse de leur facture d’essence, de fuel, est-il raisonnable d’en rajouter pour faire plaisir à la Commission et aux appétits commerciaux des opérateurs énergétiques européens ? La question du pouvoir d’achat sera au cœur de la présidentielle : les parlementaires de la majorité ont-ils vraiment vocation à jouer les kamikazes pour défendre une cause contraire à l’intérêt général et national ? Qui plus est, sur la base d’arguments spécieux qui visent à escamoter le vrai débat : la spoliation d’un service public de l’énergie donné en partage à la Nation par le général de Gaulle en 1946 !


B) L’affaiblissement d’EDF

Cette privatisation va condamner les services communs de distribution d’EDF / GDF. Cette dualité pouvait se concevoir lorsque les deux entreprises avaient le même actionnaire principal, l’Etat. Mais comment faire cohabiter, dans une structure commune, des collaborateurs de deux groupes en concurrence frontale sur le même territoire et dans la même activité ? Le distributeur commun est pourtant au cœur d’un service public de proximité qui contribue largement à l’aménagement du territoire.

 

Mais, surtout, cette privatisation va condamner EDF à subir progressivement le même sort et à emprunter la même voie d’opérateur privé aux ordres de ses actionnaires. Cette évidence est invoquée comme « un argument crédible » par les dirigeants de Suez et GDF dans le texte transmis à Bruxelles, dans lequel ils plaident pour la fusion des deux entreprises. Privatiser GDF conduira à privatiser EDF pour équilibrer la concurrence entre les deux entreprises. Incidemment, les tarifs réglementés, comme le prédit la CRE, seront définitivement passés à la trappe. Le secteur de l’énergie n’a pourtant rien à voir avec les autres. Toutes les expériences internationales, notamment américaine, ont prouvé qu’une énergie publique bien organisée, à l’image de celle de la France depuis un demi-siècle, est plus efficace, moins coûteuse, plus sûre et plus juste, que l’énergie privatisée.


La France, pour réussir sa mutation énergétique, a besoin d’un seul opérateur public de l’énergie, regroupant un électricien et un gazier en mettant en synergie leur métier respectif.


C) Une menace pour l’indépendance énergétique de la France

La privatisation de GDF pose enfin une foule de difficultés stratégiques.


Dans un contexte de crise énergétique et d’obligation de réduction de l’effet de serre, il est dangereux et complexe de transférer la propriété d’actifs stratégiques pour la Nation à un opérateur privé. Les réseaux de transport, les grandes infrastructures ont été le fruit de l’effort des Français et doivent rester des biens publics.


On nous parle souvent de cahier des charges de service public, mais les expériences étrangères, notamment américaine, ont montré le peu de cas qu’il faut en faire. Quelles sont les garanties réelles en matière d’entretien et de renouvellement des réseaux, de couverture équitable de tout le territoire national, d’accès garanti pour les plus démunis ?


De même, comment imaginer confier nos centrales nucléaires à des oligopoles privés, plus soucieux de rentabilité immédiate que de sécurité et d’investissements très coûteux et à très long terme ?

 

   Des voies alternatives

 

Depuis le début de ce projet, ses promoteurs veulent nous faire croire qu’il constitue un moindre mal, faute de vraies alternatives. Cela est totalement faux. Il existe plusieurs solutions pour conforter nos acteurs énergétiques. Une première, dans le cadre de nos accords européens. Une autre qui passe par une révision de l’accord de Barcelone.


A) Une voie communautaire étroite :


Sans remettre en cause le mauvais échafaudage communautaire, il est bien sûr possible et préférable d’agir autrement pour préserver l’intégrité et donc le caractère public et réglementé de GDF, et lui permettre de réaliser une alliance cohérente avec ses enjeux industriels. Plusieurs solutions ont été envisagées :

- des participations croisées entre Suez et GDF,

- la fusion entre GDF et les filiales énergie de Suez (Electrabel, Distrigaz, Fluxys).Ainsi un schéma à parité 50/50 serait possible préservant le caractère public de GDF,

- des prises de participations de Gaz de France dans ces mêmes filiales.


Il va de soi que la question de l’avenir du pôle environnement (60 000 salariés, responsabilités de services en gestion déléguée de nombreuses collectivités françaises) de l’actuel groupe Suez se pose. Il est vital de lui garantir un avenir qui, comme nous l’avons déjà vu, n’est en rien assuré par la fusion avec GDF. Seule, à mon sens, une structuration autour de la Caisse des dépôts et consignations d’un pôle d’investisseurs français stable et soumis à des obligations de long terme peut recréer une dynamique pour ce groupe. Le caractère partiellement public de cette nouvelle entité serait loin d’être un inconvénient, car la distribution d’eau est un service public et dans des pays comme l’Allemagne, la collectivité publique joue son rôle.


Cependant, cette solution partielle ne traiterait pas du cœur du problème : le maintien durable de tarifs réglementés, menacés par la politique de Bruxelles.


B) Créer un opérateur public unique de l’énergie, « Energie de France » :

Au-delà de ces solutions de bon sens, la raison voudrait que la France, comme en 1946, se décide enfin à relever sérieusement le défi énergétique et environnemental de son temps.


Dans un monde où la ressource énergétique sera de plus en plus rare, où la lutte contre l’effet de serre est une urgence, il est aberrant de laisser détricoter l’un des atouts majeurs de notre pays qui, en 50 ans, a amplement fait ses preuves.


L’enjeu est au contraire d’inciter aux économies d’énergie, de moderniser notre industrie électronucléaire, de développer les énergies renouvelables, de sécuriser par des coopérations d’Etat à Etat nos approvisionnements.


Pour y réussir en maintenant au bénéfice de nos concitoyens et de nos entreprises les tarifs les plus bas d’Europe, il va de soi qu’il faut à la fois moderniser nos services publics et disposer d’un groupe puissant et intégré.



Depuis plusieurs années, je plaide avec d’autres, d’horizons aussi éloignés d’ailleurs que la fondation Concorde et les syndicats, pour la création d’un acteur puissant EDF / GDF, capable de s’imposer face au géant allemand de l’électricité et du gaz (EON). Il est aussi impératif de sortir de la logique absurde du démantèlement des filières intégrées voulue par Bruxelles au nom d’une conception dogmatique de la concurrence. Un dogmatisme qui va jusqu’à contester la fusion en l’état GDF / Suez, demandant à chaque entreprise de réduire son périmètre. Le débat parlementaire de cette rentrée doit être l’occasion de poser au grand jour devant les Français les vrais enjeux de la politique énergétique de demain et de répondre à leur attente du maintien et du développement d’un opérateur public de l’énergie à leur service.


C’est pourquoi il faut aussi trancher la question des tarifs et revenir, par la loi, au mode antérieure de calcul des prix d’EDF qui garantissait un juste partage entre le consommateur, l’entreprise et l’Etat, de la rente électrique . N’oublions jamais que l’électricité ne se stocke pas et que le marché européen, en l’absence de réelles infrastructures d’interconnexion, reste pour l’essentiel une simple vue de l’esprit. L’enjeu est donc de rétablir une politique tarifaire « non lucrative » au bénéfice du développement économique de long terme, de l’aménagement du territoire, de l’autosuffisance et de l’indépendance énergétique de notre pays.


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Cher(e) Collègue, le projet de loi qui nous est soumis remet en cause le compromis établi par la loi du 9 mai 2004. Il nous engage dans un processus difficilement réversible de démantèlement en catimini d’un des piliers de notre pacte national hérité de la Libération et du général de Gaulle, alors même que l’expérience prouve les conséquences négatives d’une telle évolution.


La privatisation rampante de nos entreprises énergétiques aboutirait à l’intégration du marché français de l’énergie à un marché européen où nous n’avons rien à gagner. Elle permettrait certes la constitution de multinationales tricolores de l’énergie. Mais à quoi bon ? Leur développement international ne servirait que l’appétit de leurs actionnaires, privés ou institutionnels : désolidarisées de la Nation, celles-ci ne serviraient plus l’intérêt général et national. Drôle de patriotisme économique, qui sert exclusivement les actionnaires et se contente d’aligner sur le papier des champions qui n’ont de nationaux que le nom.


De surcroît, on nous demande de légiférer dans la précipitation sans connaître ni la décision de la Commission de Bruxelles (qui sera connue fin octobre) sur le périmètre du futur ensemble, ni celle des actionnaires de Suez.


Il n’est pas plus acceptable de faire la courte échelle à un projet ficelé dans l’ombre par deux dirigeants d’entreprises qui prennent depuis quelque temps la représentation nationale pour les serviteurs zélés et obéissants de leurs projets grandioses. Il est d’autant plus inadmissible de constater un tel comportement de la part d’un dirigeant d’entreprise publique, Mr Cirelli, qui dénie aux députés le droit de s’interroger sur la pertinence de sa stratégie : « Gaz de France souhaite que l’on cesse de faire sa stratégie à sa place », nous dit-il, oubliant qu’il est aux ordres de son actionnaire d’aujourd’hui, la puissance publique c'est-à-dire la Nation.


Les Français sont de plus en plus las des manœuvres de certains dirigeants de firmes qui décrédibilisent injustement l’ensemble des chefs d’entreprises dont le talent, le dynamisme et la créativité garantissent nos emplois et fondent notre puissance économique.


En prêtant la main à cette opération, nous alimenterions un peu plus la colère des Français qui attendent de nous le respect des engagements, la défense des services publics d’intérêt général, la préparation des défis de l’avenir.


L’économie de marché est indispensable. J’ai, pour ma part, approuvé beaucoup de privatisations lorsqu’il y avait un marché capable d’arbitrer les choses. Mais je crois, en revanche, que dans les domaines où l’investissement est à très long terme, où les intérêts stratégiques de la Nation sont en cause, l’Etat ne doit avoir aucun complexe à jouer tout son rôle.


Le secteur de l’énergie, à l’évidence, est l’un de ces secteurs que nous avons le devoir de préserver au bénéfice de nos concitoyens et du pays. Aujourd’hui le choix est simple : soit nous poursuivons le détricotage hypocrite des efforts des Français, soit nous réagissons en prenant le temps d’élaborer une vraie stratégie publique.