La
diversité régionale au risque de la focalisation sur la question
linguistique
Dans
une tribune publiée dans Ouest France le 28 février 2008 [1],
Jacques Le Goff, professeur de droit à l’université de Brest,
revient sur la récente proposition conjointement présentée par
les députés Marc Le Fur (UMP) et Marylise Lebranchu (PS) en vue
de tempérer l’article 2 de la Constitution — qui dispose que
« La langue de la République est le français » — par cette
restriction : « Dans le respect des langues régionales qui font
partie de notre patrimoine. » Il rappelle très justement que
cette initiative avait pour objectif de lever l’obstacle
constitutionnel qui sépare la France de la ratification de la
Charte européenne des langues régionales et minoritaires,
pendante depuis de nombreuses années, et à laquelle résistent
les républicains. Selon lui, au nom d’un apaisement du débat sur
les langues régionales observé depuis quelques années, le temps
serait donc venu « d’une “politique positive pour les langues”,
faisant sa part à un régionalisme bien tempéré ».
À l’appui de son propos, Jacques Le Goff note que la menace sur
le français en tant que langue nationale ne vient guère de la
concurrence qu’exerceraient les langues régionales mais bien
plutôt de celle de l’anglais et de la médiocrité de
l’enseignement du français à l’école [2].Au
total, même si l’auteur reconnaît la pesanteur de la situation
en Corse et au Pays basque, cette vision semble frappée
d’angélisme et de myopie.
Certes, les faits décrits par Jacques Le Goff ne sont pas tous
contestables. La situation semble plus apaisée qu’elle ne
l’était il y a encore une dizaine d’années : les extrémistes
sont peu à peu mis hors d’état de nuire et la vigueur des débats
entre régionalistes et jacobins paraît atténuée. Toutefois, ce
calme apparent et conjoncturel ne doit pas dissimuler une
réalité plus structurelle. Observons d’abord le fait que la
France perdure sur une construction politique originale en
Europe (Etat unitaire vs. fédéralisme) qui rend certaines
évolutions indépassables sans une remise en cause profonde
d’éléments fondamentaux de notre identité nationale et de notre
contrat social. Reconnaissons ensuite que les régionalistes, en
dernière analyse, ont toujours et partout les mêmes aspirations
finales : l’autonomie linguistique, culturelle et bientôt
économique. Autour de nous, que d’exemples spectaculaires de ces
forces de parcellisation : la Belgique, l’Espagne, le
Royaume-Uni... Partout, l’extension du champ des autonomies
locales n’a été qu’un appel à de nouvelles revendications, et ce
d’autant plus confortablement que la régionalisation est
l’objectif final des eurofédéralistes aux manettes à Bruxelles,
en bonne intelligence avec une Allemagne aux intérêts
convergents. On sait ce que procure la liberté. Pourquoi s’en
priver si les instances supranationales sont en mesure d’en
prendre en charge le coût en exerçant, par le biais des fonds
structurels, un pouvoir de redistribution considérable ? De ce
fait, les concessions accordées aux revendications linguistiques
et culturelles sont à mesurer avec de grandes précautions.
Pour autant, les langues régionales font évidemment partie du
patrimoine et de la richesse de notre pays. Mais elles ne sont
pas la seule expression de sa diversité. Si l’on a à l’esprit la
variété des styles architecturaux et picturaux, de la
gastronomie, des costumes et coutumes, de la littérature et de
la poésie, des paysages aussi, on mesure que cette richesse et
cette variété sont aujourd’hui bien vivantes et présentes mais
qu’elles sont elles aussi menacées. Or il n’y aurait pas plus
grand danger, pour ces expressions locales du génie humain, que
de se focaliser sur l’enjeu linguistique, dont la portée
« opérationnelle » est aujourd’hui limitée. On voit bien que la
concentration des débats sur la langue tient à des facteurs
politiques car, bien plus que d’autres, la langue est un
attribut essentiel de la nation. Toutefois, concentrer
l’attention sur elle, c’est souvent négliger le reste,
rechercher des gains symboliques tout en risquant de voir ainsi
avancer, en réalité, la standardisation culturelle. Qu’importe
le plus ? Sauver la recette du kouign amann ou boire du Breizh
Cola light ? Relire Chateaubriand ou Queffélec ou bien visionner
des séries américaines sous-titrées en breton ?
Le débat sur le traité de Lisbonne a été quasiment absent des
médias ; celui, connexe, à propos de la révision de l’article 2
de la Constitution a, a fortiori, été complètement passé sous
silence. Il y a pourtant là des enjeux importants et
l’apaisement apparent du débat sur les droits linguistiques ne
doit pas signifier un endormissement des défenseurs d’une
République une et indivisible, plus encore s’ils sont attachés à
la préservation vivante et au renouvellement d’un patrimoine
riche de ses particularismes locaux.
Frederic BECK
Revue républicaine |