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Ce vendredi 31 mars, à la télévision et sur les radios, le Président
Jacques Chirac a voulu mettre un terme à plusieurs semaines de crise.
L'exercice était périlleux. Il s'agissait de :
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prendre en compte les oppositions exprimées notamment par les
manifestations nombreuses d'étudiants, lycéens et salariés,
oppositions soutenues par tous les partis, exception faite de l'UMP
de Nicolas Sarkozy et du MPF de Philippe de Villiers,
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créer les conditions d'un apaisement pouvant mettre un terme à
l'occupation illégale des lycées et facultés,
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mettre autour de la table l'ensemble des partenaires sociaux avec
pour objectif d'améliorer les conditions de mis en œuvre de la loi,
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sortir de l'ornière les parlementaires UMP tiraillés entre le
soutien soit au Premier ministre, soit au candidat de l'UMP à la
présidentielle,
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enfin, et surtout, de sauver le soldat Villepin d'une mort politique
prématurée.
Exercice périlleux qui s'est soldé par une intervention présidentielle
de qualité sur la forme, mais dangereuse sur le fond.
De
qualité dans la mesure où il a respecté les prérogatives que lui confère
la constitution. De qualité également dans le ton : ferme et déterminé.
Sur ce point, j'avoue avoir apprécié l'intervention de Jacques Chirac,
même si la référence à la décision du Conseil Constitutionnel est
particulièrement "malsaine", ce dernier ne jugeant pas la pertinence des
mesures prévues dans la loi, mais uniquement leur conformité au texte
fondamental.
Mais sur le fond, l'allocution de Jacques Chirac est particulièrement
aventureuse.
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Le CPE n'est ni supprimé, ni suspendu. La loi sera promulguée et
d'application immédiate malgré le vœu de Jacques Chirac de ne voir
aucun CPE signé dans l'immédiat. En un mot, le Chef de l'État
propose la non-application d'une loi votée par le parlement et
promulguée par ses soins. Difficile à suivre.
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Mais il y aura une nouvelle loi ramenant la période de consolidation
de 2 à 1 an et obligeant l'employeur à donner les raisons du
licenciement, sans que cette obligation revête un caractère
juridique utilisable par le salarié licencié à des fins de
contestation.
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Il devient évident que, sauf à utiliser une nouvelle fois l'article
49-3, le débat parlementaire sera long et difficile, et de plus
propice aux manifestations et oppositions de toutes sortes.
En
un mot, c'est reculer pour mieux sauter. Dans de telles conditions, la
sagesse aurait été, pour le moins, d'accepter une seconde lecture des
articles contestés et cela aurait été perçu par l'opinion comme un
véritable geste d'apaisement en direction des anti-CPE.
A
peine l'allocution présidentielle terminée, les réactions fusent :
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les jeunes se retrouvent dans la rue,
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les syndicats sont unis pour réclamer une nouvelle fois le retrait
du CPE,
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la journée de mobilisation s'annonce forte pour le 4 avril,
-
l'opposition politique au gouvernement est sur un boulevard,
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et …
…
Nicolas Sarkozy boit du petit lait. Il parle. A quel titre ? Président
de l'UMP, n° 2 du gouvernement ; candidat à la magistrature suprême en
2007 ! Certainement des trois, faisant fi des règles institutionnelles
de la Vème république sur la séparation des pouvoirs exécutif et
législatif. Mais comment faut-il percevoir cette initiative ? Il n'y a
(heureusement) pas d'autre exemple (sous la Vème république) d'un
ministre n°2 du gouvernement , nommé par le chef de l'État, commentant
dans la foulée l'intervention présidentielle en s'en appropriant les
mérites. "C'est dans cet esprit que j'ai appelé depuis plusieurs
semaines à un compromis. Le président de la République a répondu à ce
souhait en s'adressant solennellement à la Nation et en demandant que la
disposition de la loi consacrée au CPE ne soit pas appliquée en
l'attente d'un nouveau texte législatif qui la modifierait"
proclame, dès 20h30, Nicolas Sarkozy. Il s'attribue ainsi la paternité
des mesures annoncées par le Président de la république. En cas d'échec,
en tirera-t-il les conclusions qui s'imposent ?
Alain KERHERVE |
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Dernière minute :
Le nouveau CPE sera
concocté par les parlementaires UMP (Proposition de loi). Ils ont pour
mission de :
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prendre en compte
les "décisions" de l'Élysée : période de consolidation ramenée à 1
an et obligation d'informer le jeune salarié de(s) motif(s)
retenu(s) par l'employeur ;
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de recevoir, dans le
cadre d'une concertation préalable, les représentants des
organisations syndicales, des étudiants et des chefs d'entreprises,.
Il y a, dans cette
démarche, un dévoiement notable des institutions de la Vème République.
La séparation des pouvoirs exécutif et législatif n'existe plus.
Le "bébé CPE" passe du
gouvernement au parlement, et pour être plus précis, de Dominique de
Villepin à Nicolas Sarkozy.
Le régime des partis est de
retour.
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